La scolarisation des enfants en situation de handicap : un exemple de politique publique
par Olivier Fournet, membre associé
Séance du 4 février 2019
C’est d’un sujet complexe mais d’actualité, la scolarisation des enfants en situation de handicap : un exemple de politique publique, que M. Olivier Fournet, membre associé et directeur du Centre de Réadaptation des personnels de l’Académie de Toulouse, a entretenu son auditoire à l’occasion de la séance du mois de mars. Refus de scolarisation, difficulté à mettre en place un accompagnement, situation des accompagnants, étaient les thèmes traités par le conférencier, « renvoyant à des dimensions individuelles mais aussi à une culture sociale, de prise en compte collective de la différence dans un monde parfois excessivement normé ». Et M. Fournet de donner comme exemple celui d’un mal-voyant qui a, certes, une limitation capacitaire, mais qui développe une sur-compétence avec d’autres sens ou habiletés.
Le handicap étant une limitation d’activité subie en raison d’une altération substantielle mais aussi en lien avec l’environnement de la personne considérée, Olivier Fournet traitait le sujet en explorant trois points : l’histoire de la scolarisation progressive des enfants handicapés, la mise en place d’une politique publique, les difficultésde la territorialisation contrastée et ses enjeux actuels. Après de premières avancées au début du 20ème siècle, c’est avec la loi de Simone Veil (1975) qui énonce que l’intégration est la règle « chaque fois que c’est possible », que l’élan est donné. D’autres lois viendront renforcerle dispositif, et ce en vue de créer un vrai plan de scolarisation des enfants et adolescents handicapés. Aujourd’hui, la loi de 2005 passe nettement d’une idée de protection des personnes à celle de l’insertion en fonction du projet de vie individuel. Ce qui constitue indéniablement une belle avancée.
Concernant la mise en place d’une politique publique, la prise de conscience en 2002 du problème par le président Chirac entraînait de nouvelles pistes développées dans les années suivantes. Désormais c’est l’État qui fixe le cap. Ainsi la loi du 11 février 2005 constitue une avancée considérable : logique de compensation et de guichet unique entraînant la création d’une nouvelle prestation, l’obligation d’emploi ou d’accessibilité ou la création de Maisons Départementales des Personnes Handicapées...
Désormais l’enfant handicapé peut être scolarisé dans l’établissement de secteur avec des aides matérielles, humaines ou pédagogiques nécessaires. La prise en compte de la situation individuelle de chaque enfant handicapédans son environnement induit une réponse appropriée au handicap de l’élève. Par voie de conséquence, la territorialisation doit permettre une action concertée des services de l’État et des départements ou des régions selon le niveau de scolarisation. C’est le cas dans l’académie de Toulouse où l’enfant est inscrit d’abord dans son "milieu ordinaire", puis accompagnégrâce aux moyens mis en oeuvre par les différents partenaires. Et l’orateur de montrer, par des graphiques appropriés, que l’académie a un taux supérieur à la moyenne nationale dans la scolarisation des enfants handicapés, aussi bien dans le primaire que dans le secondaire. Cependant, si le nombre d’élèves scolarisés augmente, il faut encore travailler à la qualité de l’accompagnement notamment par une professionnalisation accruedes intervenants.
En conclusion, Olivier Fournet notait : « Il semble incontestable que la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a modifié le paysage de la scolarisation des enfants handicapés… On est passé d’une logique d’intégration à celle de la scolarisation… Le but de cette loi était de s’adapter aux conditions locales et, en ce sens, on peut dire qu’elle est un exemple de politique publique territorialisée… ».
Le président Jean-Luc Nespoulous mettait un point final à cette conférence en remerciant tout d’abord Olivier Fournet pour son survol complet, bien détaillé et argumenté d’un problème important pour lequel la France a pris un retard considérable, par rapport à divers autres pays francophones comme le Québec, la Belgique, sans parler des pays d’Europe du Nord. Depuis la loi Veil, de 1975, l’aide aux personnes en situation de handicap, en France, n’évolue que très (trop) lentement. La loi de 2005 (30 ans après !) a certes acté, plus nettement que jamais, une volonté politique forte de mise en place de « stratégies palliatives » facilitant l’accès aux lieux publics et l’intégration des enfants handicapés, aussi souvent que possible, en milieu scolaire ordinaire, avec les aides techniques, pédagogiques et humaines nécessaires. Force est de constater que, en dépit d’avancées non négligeables, le compte n’y est toujours pas et que les mesures législatives officiellement en vigueur vont de report enreport. Demander à une personne en situation de handicap de « continuer à attendre » n’a-t-il pas quelque chose d’indécent ?
Le président Nespoulous en venait à souligner, à un plan plus général, le problème que pose la définition de la norme, problème sous-jacent à l’exposé d’Olivier Fournet. Ayant lui-même oeuvré dans le domaine du handicap dans le cadre de sa carrière universitaire, il s’accordait avec l’orateur sur une vision considérée comme « continuiste » – et non binaire – de la " frontière " entre le normal et le pathologique, dans le droit fil de la pensée du philosophe, devenu médecin, Georges Canguilhem : la différence entre le « normal » et le « pathologique » est une différence de degré et non point de nature.
Il terminait son intervention en soulignant l’importance de la formation (et du meilleur traitement statutaire, et… salarial, des AESH (Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap) dans un domaine plus général d’aide à la personne qui constitue un véritable gisement d’emploi « à valeur sociale ajoutée ».
Revenant à la notion de « norme », Jean-Luc Nespoulous énonçait deux citations émanant pourtant de deux « nonspécialistes » du domaine :
* l’écrivain portugais Fernando Pessoa : « Il n’y a pas de normes. Tous les hommes sont des exceptions à une règle qui n’existe pas. », (in Le livre de l’intranquillité, 1982)
* l’économiste Mathieu Pigasse : « La norme n’est qu’une construction sociale. » (in Eloge de l’anormalité, 2014)
Note :Une journée thématique autour de la notion de handicap est d’ores et déjà programmée, à l’automne 2020, dans le cadre des activités de l’Académie de Montauban