(Oussian ou Les Bardes, opéra de Lesueur)
L'opéra et Napoléon : une arme politique au service du culte de la personnalité
par Claude Rosius, membre associé
Séance du 7 janvier 2019
Pour la première séance de la nouvelle année, le 7 janvier 2019, Claude Rosius a présenté une conférence sur « L’Opéra et Napoléon : Une arme politique au service du culte de la personnalité ».
Soucieux de son image, Napoléon disposait de moyens relativement limités de propagande tels que la presse sévèrement contrôlée, les arts parmi lesquels la peinture glorifiant ses faits et gestes. On lui doit aussi l’organisation d’une vie artistique parisienne prospère et éclectique. Inventeur du culte de la personnalité, il va suivre l’exemple de Louis XIV qui avait donné ses lettres de noblesse à l’Opéra français dès 1669 et mettre en place une forme d’expression lyrique à son seul profit en utilisant l’Académie Impériale de Musique comme l’un des vecteurs de sa communication.
À raison de trois séances par semaine – mardi, vendredi et dimanche – ce sont des opéras et des ballets qui enchantent le public parisien. Les pièces qui ont le plus de succès sont celles qui sont appelées pièces de circonstance, c’est-à-dire celles qui lient un événement politique comme « Le triomphe du Mois de Mars » de Rodolphe Kreutzer à l’occasion de la naissance du Roi de Rome, ou bien encore « Le Triomphe de Trajan » de Louis de Persuis dans lequel on assimile les victoires de Trajan à celles de Napoléon ou encore « Ossian ou les Bardes » de Jean-François Lesueur, le personnage d’Ossian étant l’un des héros favoris de l’Empereur. En 1814, lorsque les coalisés sont aux portes de Paris et Napoléon déjà à Fontainebleau, est créé « L’Oriflamme », opéra qui met en scène Charles Martel vainqueur des Sarrasins à Poitiers. « Amphion » d’Étienne Méhul, en magnifiant la réconciliation de deux peuples, s’inspire du mariage de Napoléon et de Marie-Louise
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Le coût d’un opéra est très élevé. Il faut glorifier l’épopée napoléonienne. Les déficits – 810 000 francs en 1812 - sont pris en charge directement par le pouvoir. On ne lésine ni sur les décors ni sur les costumes. Les auteurs des livrets comme les compositeurs sont soumis à un contrôle très strict de leurs œuvres qui sont examinées à plusieurs reprises et finalement être retenues pour à peine dix pour cent des propositions initiales. Le tempérament de Napoléon l’incitait à organiser et contrôler. Rien ne doit être entrepris sans son autorisation. Les thèmes retenus ne doivent rappeler ni la royauté ni l’Écriture sainte. Tout doit être au service de l’Empereur qui, lui-même, se rend à l’Opéra relativement souvent quand ses campagnes militaires le lui permettent. Un cérémonial précis l’y attend avec un accueil musical majestueux.
Mis à part son intérêt politique, à l’époque, le répertoire des opéras de l’époque impériale n’a pas laissé beaucoup de traces sur le plan musical. Pratiquement, aucune de ces œuvres n’est interprétée aujourd’hui !
Au terme de la présentation du conférencier, et après avoir remercié celui-ci, le président Jean-Luc Nespoulous, très directement, demande au conférencier ce qu’il en est de l’opéra et du pouvoir après Napoléon Ier et, surtout, de nos jours ?
Claude Rosius répond que, sous le Second Empire, l’opéra est encore considéré comme l’arme des puissants. Napoléon III décide la construction du Palais Garnier à Paris. Sous la Ve République, grâce à l’impulsion d’André Malraux et du général de Gaulle, le plafond du Palais Garnier a été restauré par Chagall et l’Opéra Bastille a été construit avant d’être inauguré par le président Mitterrand le 13 juillet 1989 pour célébrer le bicentenaire de la Révolution en y invitant 38 chefs d’État étrangers.
La France peut s’enorgueillir de disposer de 34 scènes lyriques à Paris et en régions. Les subventions, nationales, régionales ou locales, sont indispensables pour la démocratisation de cet art, sans lesquelles il faudrait doubler le prix des places… lequel n’est cependant pas supérieur à celui d’un grand match de football international ou à un concert de rock ! L’alchimie que représente un opéra, alchimie entre un livret, une musique, un metteur en scène, des chanteurs, un décorateur, un costumier, un éclairagiste, etc. n’est plus l’apanage des puissants comme cela était le cas sous Napoléon, mais constitue un spectacle offert au plus grand nombre quand on sait que, par exemple, le coefficient de remplissage de l’Opéra de Paris, les deux salles réunies, est supérieur à 90% et que certains spectacles sont retransmis aussi bien à la télévision qu’au cinéma.