Monseigneur de Cheverus,
évèque de Montauban de 1826 à 1833
Les évêques de Montauban sous la Restauration
par Jean-Marc Detailleur, membre titulaire
Séance du 5 novembre 2018
La séance du 5 novembre 2018 était consacrée à la réception de M. Jean-Marc Detailleur, élu au 38ème fauteuil occupé par M. Nadal Rey. Le nouvel académicien était reçu par son confrère, le général Pachabeyian.
Celui-ci rappelait son parcours. Né dans les Hauts de France, il étudiait à la Faculté de Droit de Lille, puis était admis à Sciences Po Paris. Il est chargé de Travaux Dirigés, puis assistant à la Faculté de Droit de Paris XII Val de Marne. Embauché à Péchiney Ugine Kuhlmann, il est nommé chef du service du Personnel de l’usine Cégédur Péchiney de Castelsarrasin. Il se retrouve au groupe Hachette, puis il devient directeur de la Distribution du Livre. En 1983, il est directeur des relations humaines du groupe DMC (Dollfus-Mieg et Compagnie). Plus tard il participe à la création du Cercle Vinci qui regroupe les DRH des 50 plus grandes entreprises françaises. Directeur puis président des Editions Lamy, spécialisées dans le droit social et le droit du transport, il devient président du Syndicat de la Presse économique, juridique et politique Il rejoint le conseil d’administration et de direction du Groupe Wolters Kluwer , maison mère des Editions Lamy, à Amsterdam. Chevalierde l’Ordre national du Mérite, chevalier de la Légion d’Honneur, il est nommé conseiller du commerce extérieur de la France aux Pays-Bas et président du Club Européen des Ressources humaines àBruxelles. J.-M. Detailleur prend sa retraite en 2009 à Montauban, devient conciliateur de justice, président de la section locale de l’Ordre national du Mérite.
Il revenait au nouvel académicien de prononcer l’éloge de son prédécesseur, né en 1911 et décédéen 2016. Issu d’une famille de paysans modestes, il avait été professeur d’espagnol à Grenoble, puis au Maroc. A sa retraite (1973), Nadal Rey avait créé et présidé la Fédération nationale puis internationale des Personnes Âgées. Fin linguiste, amoureux de la langue occitane, il a publié quantité de nouvelles,poésies, récits, et contes. « Chacun de ses écrits est né du réel » sur lequel fleurit « une authentique poésie qu’illumine toujours le profond amour de sa terre et de sa langue maternelle » soulignait Jean-Marc Detailleur.
Le conférencier évoquait ensuite le destin croisé de Trois évêques de Montauban sous la Restauration: Jean de Cheverus, Louis Dubourg et Jean de Trélissac (1824-1844). En 1789, Montauban avait perdu son évêché créé en 1317 ; c’est Jean de Trélissac qui assume "l’intérim" des fonctions épiscopales en1809 après le rétablissement du diocèse. L’abbé de Trélissac s’efforce de régler l’intégration des prêtres constitutionnels et des prêtres réfractaires au sein de la nouvelle Eglise concordataire. Un nouvel évêque, Jean de Cheverus, est nommé en 1823 ; il appartient à une famille de parlementaires provinciaux. Ordonné à la prêtrise en 1790 et refusant de prêter serment à la Constitution Civile du Clergé, il est dans l’obligation de s’exiler en Angleterre. En septembre 1795, il s’embarque pour les Etats-Unis, s’installe à Boston, ville protestante. Un diocèse venant d’être créé suite à l’immigration irlandaise, il y est sacré évêque le 1er novembre 1810. Son action : dédicace de l’église Saint-Patrick àNew-York, installation des Ursulines en provenance du Canada, renforcement de la hiérarchie de l’église américaine, etc. En 1823, il abandonne son évêché au grand regret de l’élite protestante de Boston pour rejoindre le diocèse de Montauban le 18 juillet 1824. Dès sa prise de fonction, Jean de Cheverus installe un chapitre de neuf chanoines et deux vicaires généraux dont l’abbé de Trélissac. Il forme des prêtres et confirme des milliers de fidèles ! Il est "héroïque" pendant les inondations de 1825-26. La mort de l’archevêque de Bordeaux l’entraîne à quitter Montauban contre la volonté de ses paroissiens. Nommé membre de la Chambre des Pairs, conseiller d’Etat et commandeur de l’Ordre du Saint-Esprit, son souci est de maintenir la paix à l’heure où le catholicisme n’est plus religion d’Etat avec la montée sur le trône de Louis-Philippe. Ses interventions discrètes mais efficaces évitent une nouvelle cassure dans l’Eglise. Pour lepréfet de Gironde, « l’évêque Cheverus, c’est la charité, la simplicité et la tolérance en personne ». Nommé cardinal, il décède prématurément le 19 juillet 1836 et sera enterré en la cathédrale de Bordeaux. Louis Guillaume Dubourg lui avait succédé à Montauban en 1826. Né à Saint-Domingue, il avait étudié à Bordeaux et poursuivi au séminaire parisien de Saint-Sulpice. Il devient prêtre en 1790 et, réfractaire, il doit se réfugier en Espagne. De Cadix, il s’embarque pour les Etats-Unis, arrive à Baltimore où il fonde le collège Sainte-Marie. En 1810, il est nommé responsable d’une mission d’évangélisation des Indiens ; en 1812 il devient vicaire apostolique de la Louisiane et des deux Florides. En 1815, il prend en charge l’évêché de La Nouvelle-Orléans. Mais constatant qu’il n’avait pas les moyens nécessaires pour administrer ces régions, il retourne en Europe afin de susciter des vocations (Italie, puis Lyon et Paris). Cette tâche accomplie, il est de retour en Amérique et s’établit à Saint-Louis. Il participe à l’évangélisation des Indiens dont les Osages et, en 1827, c’est du Missouri que partiront quelques-uns de ces derniers pour l’Europe. Louis Dubourg continue sa mission : installation de nouveaux prêtres, éducation des enfants indiens. Il retrouve La Nouvelle-Orléans en 1823 ; malheureusement sa santé décline et il rentre en Europe pour devenir évêque de Montauban le 13 août 1826. N’ayant pas le sens politique ni l’habileté de Mgr de Cheverus, il se caractérise par son intransigeance et son activisme maladroit qui rallument l’antagonisme entre protestants et catholiques (l’implantation d’une croix monumentale sur la place de la cathédrale est le symbole d’une Eglise triomphante). L’histoire retiendra qu’il recevra en 1829 quelques Indiens Osages en mal d’argent pour rejoindre leur terre natale. Alors, l’évêque les hébergera, entreprendra une levée de fonds… et les Indiens pourront repartir outre-Atlantique. Ayant été nommé archevêque de Besançon en février 1833 par le roi Louis-Philippe, Mgr Dubourg décède quelques mois plus tard. C’est Mgr de Trélissac qui lui succède à Montauban. Cette nomination serait-elle due à une menace sur l’existence même de l’évêché qui fait partie de ceux qui ont été restaurés canoniquement en 1822 ? Le nouvel évêque visite les paroisses de son diocèse, prend des mesures (création d’une caisse de retraite pour les prêtres infirmes et âgés, rétablissement de bonnes relations avec la communauté protestante). Fait commandeur de la Légion d’Honneur, il démissionne après onze ans de présence sur le siège épiscopal, laissant la place à Mgr Doney. Il meurt le 20 août 1847 et est enterré dans la chapelle Saint-Théodard des évêques de la cathédrale.
Jean-Marc Detailleur reçoit la médaille de l'Académie
Au terme de cette conférence, le président de l’Académie, Jean-Luc Nespoulous, remercie chaleureusement son nouveau membre titulaire pour son exposé, soulignant le fait que sa thématique n’est qu’une « déclinaison » ou « variante » de plus du débat ancien entre le « politique » et le « religieux ». Revenant sur la citation, par le conférencier, d’Alexis de Tocqueville et de son ami Beaumont, avant leur départ pour l’Amérique, dont le point d’orgue est « En Amérique, la liberté voit dans la religion la compagne de ses luttes et de sestriomphes… », Le président Nespoulous ne manque pas de souligner l’actualité du propos et ajoute : « Que dirait Tocqueville, aujourd’hui, des relations entre le fait politique et le fait religieux, non seulement aux U.S.A, mais dans bon nombre d’autres pays, et ce dans des contextes culturels pourtant fort différents ? ».