Gus Bofa (Le pays de France, 30 mai 1918) : Prudence
[- T'avais bien peur de pas avoir de place que t'es là de si bon matin !...]
La bataille du rire : le dessin humoristique de presse pendant la Grande Guerre
par Jacques Carral, membre titulaire
Séance du 9 avril 2018
(Pour visionner le diaporama : cliquer)
La séance d’avril était consacrée à une conférence de Jacques Carral, membre titulaire, sur le thème La bataille du rire : le dessin humoristique de presse pendant la Grande Guerre. Au début du conflit, il n’était pas évident que les Français approuvent les buts de l’affrontement et en comprennent les enjeux. La première bataille à gagner était celle de l’opinion publique, d’où une question à se poser : quel a été le rôle de la presse dans le déroulement de la guerre. Le conférencier, après avoir montré l’importance de la presse écrite à la veille de la Grande Guerre, a analysé, en illustrant largement son propos, les usages du dessin humoristique de presse durant les 51 mois de ce conflit.
À la veille de 1914, la presse française connaît son âge d’or : la liberté dont elle dispose a été la conséquence de la loi du 29 juillet 1881 : on dénombre alors plus de cinquante quotidiens. Mais la censure de la presse est instaurée par la loi du 5 août 1914 qui interdit à celle-ci de fournir des informations à caractère militaire autres que celles divulguées par le gouvernement. Des sujets sont interdits comme l’utilisation des gaz toxiques ou les techniques du camouflage. La presse périodique illustrée parvient cependant à publier des photos du conflit. Les dessins humoristiques sont l’objet d’une surveillance particulière car leurs auteurs ont, depuis le milieu du XIXe siècle, une réputation de contestataires.
La guerre a modifié l’activité des dessinateurs. Leur production a été très abondante. On peut classer celle-ci en trois grands thèmes : l’humour anti-boche (arme du ridicule qui consistait à anéantir l’ennemi sous un déluge de quolibets et de sarcasmes comme les représentations du kaiser, de l’aigle allemand ou du soldat allemand), le comique troupier bon enfant (il fallait entretenir un lien de sympathie et de solidarité avec le soldat au front), le comique de l’autodérision (il s’agissait d’accepter les malheurs de la guerre avec humour et sans trop se plaindre).
Dans sa dernière partie, Jacques Carral a évoqué les différences existant d’un média à l’autre, partant de l’idée que chaque publication avait son style et son lectorat. Les dessins humoristiques pouvaient donc ne pas avoir la même tonalité d’un organe de presse à l’autre. Et puis, chaque dessinateur ne possédait-il pas son propre style et plus ou moins de talent ? Après avoir cité les noms des dessinateurs les plus notables, il a réservé un développement particulier à Albert Guillaume et à Gus Bofa, à qui la "Mémo" de Montauban a consacré deux expositions. D’abord affichiste, il est blessé au front en décembre 1914 et, de son lit d’hôpital, envoie ses dessins à La Baïonnette.
Et le conférencier de terminer sa brillante conférence magistralement illustrée, sur des questionnements : « Le dessin humoristique, qui a entretenu chez les Français la haine du boche, a-t-il rendu supportables leurs difficultés et leur souffrance ? Cela a-t-il contribué à rendre la guerre plus longue et plus terrible qu’on pouvait le supposer en 1914 ? [Cette phrase me paraît bizarre : on voit mal comment des dessinateurs auraient contribué à prolonger la guerre et intensifié ses ravages]… Les dessinateurs de presse ont-ils entretenu ce "bourrage de crâne" dont certains ont accusé la presse à la fin du conflit ?... ». Et de conclure par ces mots : « La résurgence récente de ce débat sur les limites du rire nous montre que la presse et les dessinateurs de presse en particulier n’ont pas répondu totalement à ce difficile dilemme : peut-on rire de tout, y compris des horreurs de la guerre ? »
Le président Jean-Luc Nespoulous concluait cette séance en remerciant chaleureusement Jacques Carral et en soulignant l’ampleur du travail accompli pour « débusquer » l’importante documentation visuelle qui alimentait le riche diaporama illustrant ses propos. Il soulevait ensuite une double question : la presse dans laquelle ces dessins humoristiques étaient publiés était-elle accessible au front, sachant que bon nombre de poilus étaient, de plus, analphabètes ; existait-il un lien entre la fonction de l’humour qui prévalait, dans cette presse, à l’arrière du front, et le comique troupier, parole et musique, qui devait être connu, au moins partiellement, dans les tranchées ? Et d’évoquer brièvement la figure d’Ouvrard, décédé à Caussade en 1981…